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Pourquoi j’en appelle à ne pas signer l’appel européen pour un revenu de base…. Vigilance et sens critique !

vendredi 22 mars 2013, par riposte-cte

Il y a plusieurs semaines s’est créée sur Facebook une page collective qui a pour objet explicite de stimuler de manière « neutre, pluraliste et sans parti pris » une réflexion autour de la notion de revenu de base et de soutenir une vaste campagne européenne visant à obtenir sa reconnaissance de principe par le Parlement européen via le dispositif de l’Initiative Citoyenne. Titillé par un contact pris avec notre collectif par un des fondateurs bruxellois de cette initiative pour la Belgique (contact que nous avions d’ailleurs « partagé » sur notre blog), un, puis deux, membres de Riposte.cte, dont moi-même, décidons de s’intéresser à cette initiative et à sa page liégeoise (elle-même en lien avec une page nationale, elle-même reliée à son tour à un réseau international) et de s’en faire les « amis ».

http://www.facebook.com/groups/237257129743705/266624373473647/?notif_t=group_activity

J’y découvre rapidement qu’en matière de neutralité, on y est loin du compte. Pas trace par exemple de Bernard Friot et de « son » salaire à vie », ou presque (seul traîne un article qui met ses thèses en critique sans qu’elles soient exposées, ce qui permet au passage à l’auteur d’appuyer ses flèches sur des informations erronées sans que quiconque sur la page FB ne semble en mesure de signaler ce problème).

Pas plus de présence effective, significative, de Pol Ariès, qui finira pas débarquer quand même un jour via une courte capsule vidéo qui ne renvoie ici non plus à rien de conséquent et permet à l’une des administratrices de la page de critiquer la « dotation inconditionnelle d’autonomie » de la même manière que « le salaire à vie », c’est-à-dire sans jamais exposer en quoi ces propositions consistent et surtout sans les mettre en perpectives politiques comparatives ni entre elles ni avec les autres propositions dites de « rdb ».

Celles-ci, les autres, très convergentes entre elles, envahissent par contre la page tous les jours, à coups de documentaires, d’articles et de commentaires souvent dithyrambiques, jamais accompagnés eux de la moindre mise en critique, ou en questionnement, alors même que certains sont parfois traversés de contradictions inconciliables. Car finalement le point le plus commun entre l’essentiel des articles qui sont publiés sur la page, c’est leur capacité à dire (en eux-mêmes) « tout et son contraire », défendre une idée « a » vendue comme identique à une autre idée « non a », présentée comme toute aussi bonne, dans une espèce d’esprit d’équivalence très contemporain où finalement le concept du « tout se vaut » serait l’expression même de l’humanité la plus aboutie, en terme de tolérance démocratique et d’intelligence… du « rien à dire sur rien ».

Convaincus de l’intérêt que porteraient les lecteurs interactifs de cette page à dépasser cet état de fait sans doute involontaire, j’entreprends alors, souvent avec un soutien rarement concerté de mon comparse de Riposte.cte, un travail d’abord d’explication du concept et des origines du « salaire à vie » (travail dans lequel le ton et les contenus des premiers commentaires nous encouragent à persévérer, du moins dans un premier temps !). J’essaie d’être le plus complet possible, nuancé, et même pédagogique, m’appuyant essentiellement sur les commentaires approximatifs ou erronés qui sont postés à ce sujet et auxquels je réagis de manière assez systématique. L’une des administratrices de la page tire déjà parfois la sonnette d’alarme en précisant que cette page n’a pas pour vocation d’ouvrir des débats (sic) mais d’informer des événements qu’organise le groupe, dans la foulée de quoi elle reposte un documentaire ou l’autre qui n’a évidement que pour effet… de relancer le débat !

Nos interventions de fond, à nous les deux riposteurs de service, nous valent malgré tout d’être invités à la réunion de Flémalle du 23 février, constitutive du groupe liégeois sur le RdB, et à l’issue de celle-ci d’être pressentis pour intervenir comme conférenciers le 11 mai au premier événement public qu’organiserait le groupe.

Entre-temps, nous poursuivent assidûment, mais sans agressivité ni prosélytisme rabatteur, aux risques de passablement énerver quand même la personne qui devient bientôt l’administratrice unique de la page, notre travail systématique d’analyse comparative et de détricotage point par point des différentes pistes proposées. Nous en démontrent que contrairement à ce qu’écrit le leader bruxellois de la dynamique francophone de la campagne de signatures en Belgique, la question du Rdb ne transcende pas les clivages gauche-droite, mais elle les réactive comme jamais, que c’est bien à un véritable chantier d’affirmations et de démarquage politiques (enfin !) que nous force ce champ. C’est ce postulat (ou cette constatation ?) qui nous vaudra d’être rapidement disqualifiés pour la conférence du 11mai d’abord puis du groupe Fb tout bonnement !

Car qu’on veuille arrondir les angles et/ou au minimum faire du consensus de façade ou non, il est vraiment très compliqué de nier qu’entre Friot et son Salaire à Vie, démarrant à 1500 euros, financé par extension maximale de la sécu, avec liquidation de la propriété lucrative, investissement n’autorisant plus aucune forme d’accumulation de capital et d’enrichissement par la spéculation monétaire, réappropriation par les producteurs/travailleurs avec ou sans emploi de la totalité de la richesse qu’ils produisent, etc, et des propositions inspirées du parti néo-libéral Vivant, créé en Belgique par le milliardaire Duchâtelet, qui prône la liquidation intégrale de la sécu et de toute forme d’imposition directe (sur la travail, la fortune, la propriété ou les dividendes) pour financer un Rdb de 500 euro (ou même 1000) grâce à une tva explosée à 50%, il y a plus qu’une nuance, plus qu’une marge, il y a un antagonisme irréductible, il y a ni plus ni moins que tout un modèle de société. Il y a d’une part le capitalisme affirmé au plus loin de ce qu’il peut, avec des salariés européens qui lui coûtent le prix des salariés chinois ( enfin !) et des avoirs sans limite, qui ne sont plus imposables en aucune manière, et de l’autre une société débarrassée de toute forme de propriété lucrative et de toute possibilité d’asservissement par l’emploi. On ne peut trouver plus anti-thétique !

Non, répond Bruxelles. « Le Salaire à Vie est certes irréaliste, sorti du cerveau fumeux d’un économiste pensionné, mais il a sa place , toute sa place (l’inverse de ce que pense l’administratrice liégeoise), il est un des formes légitimes du RdB, qui lui est LA version matricielle dans laquelle toutes les autres, même avec leurs controverses, sont accueillies de la même manière », un peu à la façon de la Mère l’Eglise capable d’accueillir richesse et pauvreté et puis surtout tous les pécheurs du monde du moment qu’ils se reconnaissent en elle. En réalité, ce à quoi semblent tenir en dominante les initiateurs des pages FB (il y en a dans d’autres régions), ce n’est absolument pas d’ouvrir des débats sur la question, de construire ou montrer les enjeux et perpectives, y compris contradictoires, de ces différentes versions du principe selon lequel chacun aurait désormais droit à des ressources d’existence sans contrepartie avérée en terme de production de richesse économique.

C’est au contraire d’en nier au maximum ou d’en minimiser les différences pour ratisser au plus large et au plus efficace. Il faut des signatures ? Un peu de friotiens, de « collectivistes » et d’écolo-gauchistes, c’est toujours ça de pris, semble-t-il, et puis d’inespérés tant les formules dominantes dans le champ sont droitières ( Matéo Alaluf parle à leur sujet de « régression sociale sans précédent ») . Comme disent certains : « Obtenons d’abord les signatures sur le principe du rdb et puis, on verra pour ces questions somme toute secondaires finalement, que constituent les modalités de financement et la hauteur du revenu à allouer ». Pour cela, -les modalités d’application (sic)-, ce sera aux parlementaires, vont jusqu’à dire certains, de les décider, pas à nous, citoyens !

Ben non, pas d’accord ! Car c’est là, et seulement là, que se joue la perspective politique majeure, évidemment. Un projet politique aussi potentiellement transformateur de l’essentiel de ce qui fait notre société ne se discute pas dans l’air mais dans le moindre détail de ce qu’il risque d’avoir pour effets, car ces effets seront de l’ordre soit du bouleversement soit de l’entérinement pour des décennies d’un système de domination des plus raffiné. C’est comme si on vous disait « soutenez la suppression de la sécu, ce truc vieillot, coûteux, bureaucratique, qui ne sert qu’à financer des chômeurs, des malades, des invalides, des vieux, des personnes en congé ou en formation (excusez du peu), et puis on verra après, dans un débat parfaitement démocratique, par quoi on la remplacera ».

La goutte qui va faire déborder le vase, c’est la proposition « Bruno Monfort », solidement charpentée et argumentée, et la mise en évidence que je tente d’apporter des divergences pour le coup éclatantes entre cette proposition, vendue comme bonne elle aussi, « équivalente », et les propositions massivement et majoritairement promulguées. Ben oui, qu’elle vienne cette improbable et Xe piste, elle va permettre de ratisser encore davantage, car ceux qui la soutiendront, seront bien accueillis (bienvenue Machin, peux-tu te présenter ? As-tu vu cette vidéo qui t’explique bien… ? »), on leur dira « viens, viens, et signe », alors que la proposition qui les aura mobilisés à venir sur la page est en réalité en contradiction, en opposition avec ce qui y est quotidiennement balancé, à tel point que l’auteur de la proposition himself, Mr Monfort, a écrit un document hyper critique sur les versions dominantes toujours en vigueur sur la page (Parle-t-on du même revenu de base inconditionnel/ Analyse du programme de Vivant Europe). ,

Lorsque quelqu’un est tenté par l’idée de « signer » mais que la TVA, il trouve ça injuste pour les plus pauvres, on lui exhibe la version Monfort qui ne l’augmente pas et on lui dit qu’on fera payer les riches, et s’il trouve qu’il ne faut pas toucher aux riches sinon ils seront fâchés, et qu’il faut surtout que cela encourage l’esprit d’entreprendre et dope l’emploi (sic !), on lui exhibe un docu dans lequel on explique qu’avec le RdB, on va liquider la sécu, les précomptes professionnels, donc réduire substantiellement le « coût » de la main d’oeuvre et qu’il n’y aura plus qu’un seul impôt, le plus juste qui soit, la TVA , etc. Tout est à l’avenant !

La proposition “Monfort” ma plaît bien. Elle maintient la sécu, renforçce la redistributivité par l’impôt sur le revenu, s’oppose à toute augmentation de la TVA, fixe le niveau du rdb à 1000 euro/adulte et 2000 euros/sénior, et cumule le rdb avec tout autre revenu via un emploi… Tout le contraire de Vivant et comparses. etc. Mais, sur la page Fb du Rdb, on commente que c’est bien tout ça mais que que ça ne va pas intéresser grand monde, toutes ces rebutantes mathématiques. Ce qu’il faut, c’est vendre l’idée commune, le sacré RdB ! Et ne pas emmerder les gens avec ces histoires de sous, d’économie, de comptabilité et surtout avec ce qui divise. Je persiste cependant à expliquer le contraire, et je me prends (peu après mon comparse) l’administratrice en chef sur le coin de la g… - « maintenant on arrête de débattre de tout ça »-, et paf…c’est le clash ! Virés sans sommation, tous les deux, sans transparence pour les autres « ami-e-s » non informé-e-s bien sûr. Pire : toutes traces des débats que nous avons amenés sont EFFACEES, une pratique de type négationniste : nous n’avons en réalité jamais existé ! Il faudra diverses pressions pour qu’enfin l’administratrice s’explique, attaquant massivement sa prédécesseuse pour avoir laissé ces deux « emm… » sévir sur la page trop longtemps.

Je n’éprouve à titre personnel aucune rancoeur sur ce limogeage et l’effacement même de mon passage sur la page (ce qui est presque pire quelque part !), là n’est pas la question et ça a même plutôt tendance à me faire sourire. Je regrette tout au plus de plus pouvoir jouer ce rôle d’éclaireur, d’analyseur (eh oui ! je sais ! je ne me prends pas pour de la m… en disant cela), de vigilance, par rapport à ce qui se joue, se balance, et se propage sur cette page à visée par trop racoleuse (à mon goût), dans la plus parfaite incohérence et la plus parfaite confusion, surfant cependant sur une rage réelle et souvent un espoir infini de bien des gens dont je me sent proche. Des gens qui, comme moi, de fait, veulent en finir avec la conception capitaliste du travail, l’obligation qui nous est faite de nous vendre pour pouvoir vivre, obligation violemment et régulièrement rappelée par des institutions publiques de plus en plus répressives. Et c’est principalement parce qu’il y a ce commun, qui les motive et me motive de la même manière, que, via cette page sur le Rdb, j’ai eu envie de la rencontre et du « partage » !

Le problème, c’est que ce que les animateurs de cette campagne défendent et portent comme projet politique, à mon sens, en me basant sur ce qu’ils avancent en dominante selon moi mais sous couvert de ne pas trancher, de rester neutres au sein d’une merveilleuse et riche diversité de pistes, dont ils prennent soin tout de même de sélectionner celles qu’ils rabachent tous les jours et à toutes les sauces possibles et imaginables, et celle qu’il dénigre délicieusement (« les friotiens »…), le problème, donc, c’est que je ne trouve pas que le projet politique de la plupart des tenants de cette campagne soit émancipateur. Il n’est pas libérateur pour les petites gens, les travailleurs, avec ou sans emploi. Il est même tout l’inverse. Et c’est pour cela que j’ai tenu à attirer l’attention de tou-te-s celleux qui sont ami-e-s de Riposte. Cte et le sont devenu-e-s aussi de la page Facebook sur le RdB. Cette émancipation des “gens de la base”, dont je fais partie, n’est pas LEUR projet alors qu’il est LE MIEN.

S’il vous en fallait une preuve supplémentaire, je vous inviterais (car je n’ai pas eu l’occasion de le faire avant de sauter !) à demander aux initiateurs de la campagne qu’ils expliquent avec force détails et la plus grande transparence possible…qui finance cette campagne. Je ne serais pas étonné qu’y figurent plus que certainement quelques industriels fortunés et même qu’y traînent l’un ou l’autre milliardaires. Il n’y pas de mal à ça, vous dites vous peut-être. Soit ! Mais pensez-vous vraiment que ces gens vont financer une campagne qui aurait pour objectifs, comme le prétendent les tenants du Rdb à la Vivant et les administrateurs de la page Rdb liégeoise, de nous permettre de n’avoir plus à leur vendre notre force de travail grâce à laquelle ils ont fait et tiennent certainement à faire encore leur fortune personnelle ? Les capitalistes ne s’enrichissent que parce qu’ils sont arrivés à imposer au monde et surtout dans ce monde à nous qui ne sommes pas du leur, un modèle économique où nous sommes tenus de leur vendre nos corps, nos affects, nos intelligences, et de nous mettre en concurrence pour ce faire. Sans cela, ils sont morts.

Croyez-vous vraiment que ces gens vont scier la branche sur laquelle ils sont confortablement assis au faîte de l’arbre social ? Et si vous répondez oui à la question, pensez-vous que vous auriez quelque raison d’en vouloir à celles et ceux qui, alors, vous traiteraient de doux naïfs ? Si l’on veut se libérer de la convention capitaliste du travail, vraiment, il nous faudra le leur arracher, avec nos propres deniers. A bon entendeur-se.

Tcherr