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Chronique de la semaine (pour Radio Campus) : “Chers 1300 et quelques”, par Anne Löwenthal
dimanche 27 janvier 2013, par
A lire… Piqué sur facebook… Merci pour cette belle chronique !
http://www.facebook.com/notes/anne-l%C3%B6wenthal/chronique-de-la-semaine-pour-radio-campus-chers-1300-et-quelques/10152457394340103
"Chers 1300 et quelques,
Si je vous écris, c’est pour vous souhaiter la bienvenue dans la Belgique d’en bas. Si je vous écris à vous, c’est que vous êtes les derniers en date à la rejoindre et que je tenais à ce que vous vous y sentiez bien, même si on commence à être un peu serrés.
Alors voilà, je vous fais le topo, histoire que votre parcours d’intégration soit optimal :
Ici, on n’en a rien à foutre que vous ayez usé vos mains calleuses sur des laminoirs, et tout ça pour rien. On le savait depuis un bout de temps. Parce que c’est le cas d’à peu près tout le monde. On a tous cru un jour, voire plusieurs, qu’on travaillait bien et que ça ne nous arriverait pas. Et vous n’êtes pas les seuls à avoir entendu des promesses dans ce sens.
Ici, vous apprendrez très vite que cette maison que vous avez acquise parce que des politiciens ont encouragé l’accès à la propriété ne sera plus payée à la date convenue avec votre banque pendant un bon bout de temps. Ni votre loyer, si vous louez. Ni votre bagnole. Ni vos divers crédits. Mais vous apprendrez très vite à prévenir tous vos créanciers d’un retard plus que probable et qu’en général, ils sont assez conciliants. Et vous apprendrez très vite à ne pas vous faire du mouron, parce que ce sera ça ou devoir choisir entre un plein d’essence et des antiacides chez le pharmacien.
Ici, pendant quelques mois, ça se passera relativement bien. Mais dans un an, vous n’aurez de toute façon plus assez d’argent pour vivre. Apprenez dès à présent à consommer le moins possible, à faire vos courses au Lidl et dans les « tout à 1 euro », à acheter vos fringues en seconde main. Si vous avez un jardin, apprenez à y cultiver des légumes. Habituez vos enfants à l’idée qu’ils devront renoncer à la dernière console du marché. Et, dans un premier temps, au pop corn au cinéma (mais ça, ce n’est pas plus mal).
Ici, dans un second temps, vous n’emmènerez plus vos enfants au cinéma. Parce que vos allocations vont diminuer et que personne ne peut se payer un logement, l’éclairer, le chauffer, le laver, remplir le frigo, s’habiller et rouler en voiture avec 1000 euros par mois si en plus il offre le cinéma à ses enfants.
Ici, vous devrez vous habituer à entendre que faire ses courses au Lidl, dans les « tout à 1 euro », acheter ses fringues en seconde main et renoncer à la culture, sauf des légumes dans votre jardin, c’est très grave, parce que ça tue l’emploi.
En gros, en arrivant ici, vous êtes devenus une espèce à part. Vous n’êtes plus « les gens ». Eux, Elio Di Rupo et son gouvernement ont dit qu’ils les avaient épargnés avec leur budget. Vous êtes désormais de la race des profiteurs, des paresseux. Vous n’avez pas le droit de vous plaindre, parce que vous n’êtes même pas fichus de trouver un boulot alors que n’importe quel salarié ou patron un peu décérébré vous dira qu’il y en a plein, si on veut vraiment. D’ailleurs, vous allez devoir en chercher et ramener des lettres de refus parce que sinon, vous perdrez carrément vos allocations.”
Donc voilà, chers 1300 et quelques. Faites profil bas, c’est dans votre intérêt. Si vous en êtes arrivés là, c’est de votre faute. Si vous y restez, c’est carrément honteux. Et si parfois la vie est dure, songez aux gens. Qui, épargnés par le budget de notre gouvernement, vont pour beaucoup travailler tous les jours pour à peine plus de sous que vos allocations. Songez à tous ceux qui sont dans la même situation que vous mais cumulent ce défaut majeur avec une peau basanée, par exemple.
Et puis, songez que vous n’êtes pas là pour profiter de la vie. Vous avez des devoirs. Et achetez moins de coca, de toute façon, c’est mauvais pour vous et c’est du luxe. Quand on est chômeur, qu’on s’en plaint et qu’on boit du coca, c’est un tout petit peu indécent
Voilà, c’est tout. Vous pouvez à présent retourner vous abrutir devant cette télévision qui, entre deux séquences de pub, vous confirmera tout ce que je vous ai dit. Mais sans le dire, cette fois, parce qu’un chômeur qui s’abrutit devant la télé, c’est un tout petit peu indécent.
Moi, je suis petite et ronde, alors le profil bas ne me met pas en valeur, donc je vais essayer de quitter le navire comme une lâche. Mais j’ai de la chance : je suis lettrée, armée, expérimentée, entourée et je peux exercer mon activité dans à peu près tous les secteurs. Et si j’y arrive, je vous promets de continuer à faire mes courses au Lidl pour vous dire bonjour de temps en temps.”